Commentaires sur Contes populaires russes



La préface de l'auteur nous donne des précisions sur le contenu. Le contributeur que je suis vous invite à les découvrir en consultant l'excellent travail biographique, clair et concis, réalisé par les auteurs de ce wiki, sur la page consacrée à Ernest Jaubert : vous y trouverez également des informations sur la genèse de l'ouvrage ainsi que sur l'illustrateur Léon Tzeytline ; à noter que ce dernier n'est pas crédité dans l'édition de 1913, sa signature seule permettant de l'identifier (alors que, quelques mois plus tard, Paul Kauffmann sera bel et bien crédité en tant qu'illustrateur sur la page de titre de Légendes et Contes d'Alsace).

En 1926, le volume Contes populaires russes change d'époque (passant de celle du type 0 à celle du type 1) et se glisse dans le nouvel habillage éditorial, mis en place deux ans auparavant : plats illustrés et 250 pages d'épaisseur, désormais spécifiquement à destination du public juvénile, la tentative du tout public n'ayant pas été très probante au cours des dix premières années d'existence.
Notre recueil russe, accusant un embonpoint dû à ses quelques 150 pages de trop par rapport à ces nouveaux critères de publication, se met au régime, et cela lui réussit plutôt bien : il passe en-dessous de la barre indiquée et tombe à 240 pages. Pour ce faire, il se prive et se déleste de 8 skaski (non, ce n'est pas le nom d'une friandise russe mais le terme qu'on utilise pour désigner les contes populaires en Russie).
Contrairement aux 11-6+3=8 contes de son confrère alsacien définitivement remisés au placard (voir Légendes et Contes d'Alsace), ces 8 skaski seront repêchés : 2 dans les éditions ultérieures, 6 aux côtés d'autres contes, inédits dans la collection, dans un nouveau recueil intitulé Récits du terroir russe, du même Ernest Jaubert, qui paraîtra en 1930.
À l'époque, seules des coupes franches permettent à l'éditeur de réduire le nombre de pages, car toucher à la police d'impression oblige à recomposer toute la matrice. Alors on coupe, on retranche, on permute éventuellement, puis on ré-assemble (un peu de la manière dont on peut le faire encore aujourd'hui lorsqu'on fait des “montages-à-la-photocopie”). Quand il y a modification du texte, on fait en sorte que la page en question soit ensuite “raccord” avec la suivante, pour éviter d'avoir à retoucher à cette dernière, et ces modifications doivent être faites sans toucher ni à la taille des caractères, ni à la mise en page originelle (illustrations comprises), ni à la pagination d'ensemble d'origine. Seuls les numéros de pages peuvent, dans le cas d'une permutation, être attribués à d'autres pages du recueil.
Très concrètement, voici comment cela se traduit pour ce recueil et pour son confrère alsacien : chacune des pages composant l'édition de 1926 (1928 pour l'alsacien) ressemblent à de véritables fac-similés des pages de l'édition de 1913, et ce, même pour les pages qui ont changé de numéro (voir ci-dessous le seul exemple de permutation de deux contes pour le recueil russe ; l'alsacien de 1928 en comptera bien davantage) : même lorsqu'un mot a été modifié à l'intérieur d'une des pages de 1926 (ou 1928), l'imprimeur doit s'arranger pour que cette page commence exactement par le même mot qu'en 1913 et qu'elle se termine par le même mot pour reprendre, page suivante, sur le même mot qu'en 1913 (et quand le mot est coupé en deux, la première partie sur une page, la seconde sur la suivante, la césure est exactement la même et au même endroit qu'en 1913) ; les très rares fois où ce n'est pas le cas, quand ce n'est plus seulement un mot mais tout un passage qui a été modifié, l'imprimeur doit s'arranger pour que le texte soit à nouveau “pile-poil raccord” quelques pages plus loin. Aujourd'hui, ce principe de ne pas bousculer la pagination est toujours de rigueur chez certains éditeurs notamment pour des ouvrages de référence comme dans la Bibliothèque de la Pléiade, par exemple, où Gallimard demande expressément à ses contributeurs de n'opérer que des modifications mineures dans le corps du texte, lorsqu'il s'agit d'une simple réimpression ; c'est le distinguo, chez eux, entre réimpression et nouvelle édition ; même s'il leur arrive aussi, dans le même temps, par souci d'économie, de réimprimer certains volumes plus anciens sans toucher au texte mais dans une police légèrement plus petite pour réduire le nombre de pages et par là-même le coût de fabrication. Quoiqu'il en soit, les outils d'impression actuels permettent beaucoup plus de souplesse dans les ajustements de texte ou de pages. À l'époque la tâche est beaucoup plus ardue. L'intégration de modifications s'effectue patiemment mot après mot, page après page, et l'imprimeur d'alors ne peut jouer que sur les sauts de ligne et les alinéas pour réajuster la mise en page ; et quand cela ne suffit pas, il va jusqu'à supprimer un adjectif, ou écourter une phrase en en simplifiant la formulation. Comme il ne peut toucher ni à la taille ni même à l'espacement des caractères, l'ajout d'un mot peut donc entraîner la suppression d'un autre, le développement d'un passage peut conduire à l'abréviation d'un autre, une modification ici obliger une modification là. Ces constatations sont particulièrement visibles quand on compare l'avant-propos du recueil alsacien de 1913 et le même en 1928.
Voilà pourquoi le sommaire du recueil russe de l'édition de 1926 se trouve autant calqué, à la page près, sur celui de l'édition originale de 1913.
On comprend donc que pour plus de commodité, ce sont ici les derniers contes qui ont tout simplement été retranchés. Une exception : “Le Coq, le Chat & le Renard” ont permuté avec “Le Prince changé en Bouc”, chassant celui-ci de l'édition de 1926. La raison ? Aucune certitude mais “Le Coq, le Chat & le Renard” sont accompagnés dans leurs (més)aventures de deux illustrations, dont une en pleine page. Alors que “Le Prince changé en Bouc”, lui, ne contient qu'une seule miniature. Comme la taille de ces deux textes, en termes de pages, est extrêmement voisine, l'ajout d'une autre illustration pleine page dans le conte précédent, “Le Diable et le Forgeron”, a permis cette permutation et cet ajustement à la page près, offrant au recueil, dans cette version slim, trois illustrations supplémentaires dont deux en pleine page qu'il n'aurait pas eu si l'éditeur avait choisi de conserver “Le Prince changé en Bouc”.
Précision : en 1913, pour Contes populaires russes et Légendes et Contes d'Alsace, chaque conte débute sur une page impaire, jamais sur une page paire. Lorsque le conte qui précède se termine sur une page impaire, une petite illustration centrale de type cul-de-lampe vient orner la page paire suivante, qui reste vierge de tout texte afin de respecter cette consigne d'impression. Cette astuce d'imprimeur permettait une marge de manœuvre lors d'éditions ultérieures (au moins jusqu'au milieu des années 1940), en cas de modifications du texte ; ici, l'ajout d'une seule illustration pleine page au milieu d'un conte a donc suffi à faire gagner deux pages sur l'ensemble du conte, ce qui a ensuite facilité l'ajustement (à noter qu'une illustration pleine page, n'est pas une illustration hors-texte : la première compte dans la pagination, la seconde est hors-pagination, sur une page de qualité papier différente, se situant entre la page tant et la page tant).

En 1948, les Contes populaires russes entrent dans le type 2. Le procédé de photocomposition est, lui, entré dans l'imprimerie et permet désormais de modifier l'agencement du texte et la taille des caractères employés à moindre coût lors des rééditions. Cette nouvelle technologie permet à notre recueil, grâce à une police d'impression plus petite, d'accueillir à nouveau “Kotia” et le “Prince changé en Bouc”. Par contre, “Le Potier” (à ne pas confondre avec “Le Diable et le Potier”), un conte de pourtant seulement quatre pages, qui s'était maintenu lors du passage du type 0 au type 1 en 1926, ne survit pas à ce troisième remaniement. Il disparaît du volume et dans les rééditions des années 1960-70, on le cherche encore, en vain…

À noter également que, même dans les années 60, époque où un certain nombre de recueils ont vu leur intitulé modifié dans l'optique d'une simplification et d'une homogénéisation des titres de la collection, ce tout premier recueil ne verra jamais le mot “Légendes” venir s'associer au mot “Contes” dans son intitulé qui traversera les années sans subir de modifications.